Un drame à Saint-Malo: Dix-sept lignes d’Emile Blavet dans Les Chants de Maldoror

 

 

  Jean-Jacques Lefrère

 

On se souvient de ce passage du Chant cinquième (page 240 de l’édition de 1869) :

 […] Mais quand on se trouve en présence de pareilles circonstances, plus d’un sent battre contre la paume de sa main les pulsations de son cœur. Il vient de mourir, presque inconnu, dans un petit port de Bretagne, un maître caboteur, vieux marin, qui fut le héros d’une terrible histoire. Il était alors capitaine au long cours, et voyageait pour un armateur de Saint-Malo. Or, après une absence de treize mois, il arriva au foyer conjugal, au moment où sa femme, encore alitée, venait de lui donner un héritier, à la reconnaissance duquel il ne se reconnaissait aucun droit. Le capitaine ne fit rien paraître de sa surprise et de sa colère ; il pria froidement sa femme de s’habiller, et de l’accompagner à une promenade, sur les remparts de la ville. On était en janvier. Les remparts de Saint-Malo sont élevés, et, lorsque souffle le vent du nord, les plus intrépides reculent. La malheureuse obéit, calme et résignée ; en rentrant, elle délira. Elle expira dans la nuit. Mais, ce n’était qu’une femme. […]

 

Il ne faut pas chercher plus loin que la rubrique (signée Émile Blavet) des Faits divers du Figaro du samedi 12 septembre 1868 pour retrouver l’origine de ce nouvel « emprunt » de Ducasse :

«— Il vient de mourir, presque inconnu, dans un petit port de Bretagne, un maître caboteur, vieux marin, qui fut le héros d’une terrible histoire.

Il était alors capitaine au long cours et voyageait pour un amateur [sic] de Saint-Malo.

Or, après une absence de treize mois, il arriva au foyer conjugal au moment ou sa femme, encore alitée, venait de lui donner un héritier, à la reconnaissance duquel il ne se reconnaissait aucun droit.

Le capitaine ne fit rien paraître de sa surprise et de sa colère ; il pria froidement sa femme de s’habiller et de l’accompagner à une promenade sur les remparts de la ville.

On était en janvier. Les remparts de Saint-Malo sont élevés, et lorsque souffle le vent du nord, les plus intrépides reculent.

La malheureuse obéit, calme et résignée ; en rentrant, elle délirait, elle expira dans la nuit.»

 Figaro, 12 septembre 1868  (en page 3) Fait divers

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Blavet

Émile Blavet (1838-1924), journaliste aux nombreux noms de plume, collabora à bien d’autres périodiques que Le Figaro, où il était titulaire de la rubrique La Vie parisienne, qu’il signait Parisis — comme L’Éclair, Le Gaulois, Le Voltaire, La République française, Le Nain jaune, Le Soleil, La Presse — et fut aussi romancier, vaudevilliste, auteur d’opéras. L’Académie nationale de musique l’eut un temps comme directeur. Il rejoint désormais Jean-Charles Chenu et quelques autres dans la phalange des coauteurs involontaires des Chants de Maldoror.

Il est à noter que Ducasse, en reprenant ce fait divers du Figaro, a corrigé la coquille sur « armateur », confirmant que le plagiat est nécessaire pour serrer la pensée d’un auteur.

Quant à la date du 12 septembre 1868, il serait hasardeux de dire qu’elle établit le moment de composition de cette strophe du Chant cinquième : Ducasse a pu utiliser ce numéro du Figaro le jour de sa parution, ou y puiser son bien par la suite.

 

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